La grève générale du 31 aout 1942 : quand tout un peuple résiste à l’occupant
Article publié 80 ans après cet évènement majeur dans l’histoire du Luxembourg contemporain
Le 10 mai 1940, l’armée allemande envahissait le Grand-Duché pour la seconde fois. La Grande-Duchesse Charlotte et le Gouvernement partirent en exil. Hitler considérait les Luxembourgeois comme ethniquement et culturellement allemands.
En août 1940, l’administration civile allemande a eu pour objectif l’intégration du Luxembourg au Reich. Sur le plan administratif, le Grand-Duché fut intégré au Gau Moselland comprenant notamment les villes de Trèves et de Coblence. Cette subdivision était dirigée par un gauleiter Gustav Simon, une sorte de préfet qui rapportait directement à Hitler.
Simon mena une politique d’intégration forcée des 300.000 habitants, pensant facilement les convaincre de leur appartenance « naturelle » au Reich.
Le Volksdeutsche Bewegung (VdB) fut créé pour favoriser cette intégration par la propagande pro-allemande (slogan : « Heim ins Reich »). La police, la justice et l’administration furent totalement reprises en main par les nazis, les partis politiques locaux dissous. Les jeunes avaient obligation d’adhérer aux jeunesses hitlériennes pour poursuivre leur scolarité, la langue allemande étant progressivement imposée.
Les 3.144 juifs luxembourgeois furent en bonne partie privés de leurs biens puis déportés à partir du 16 octobre 1941.
Plusieurs organisations de résistance furent créées.
De nombreuses arrestations, déportations et condamnations à mort furent prononcées contre ces résistants pendant toute l’occupation.
Le premier acte notable de résistance générale de la population eut lieu le 10 octobre 1941, lors du recensement organisé par Simon qui voulait, par ce biais, démontrer que les Luxembourgeois se déclareraient comme allemands de langue, de nationalité et de race.
La quasi-totalité des réponses aux trois questions, furent « luxembourgeois ».
3 mol lëtzebuergesch !
Le plus marquant fut celui de la grève générale du 31 août 1942 qui se poursuivit début septembre.
Simon avait annoncé la veille la conscription militaire obligatoire de tous les jeunes hommes, nés entre 1920 et 1924.
Edmond Goergen, résistant du LVL, intercepta un message radio évoquant le projet d’extension à dix classes d’âge de la conscription.
Il prit son vélo de nuit de Junglinster à Wiltz pour en parler à ses amis.
A Wiltz, le mouvement fut initié par les résistants responsables municipaux (Michel Worré et Nicolas Müller). Les employés des tanneries Idéal refusèrent de se rendre au travail. Aux aciéries ARBED d’Esch/Schifflange, environ 2.000 ouvriers refusèrent de travailler.
Les mines et aciéries de Dudelange, de Differdange, les salariés du Luxemburger Wort à Luxembourg-ville se joignirent à la grève.
Suivirent ensuite tous les métiers, les mines, l’industrie, les commerçants, les professeurs, les postiers, jusqu’aux lycées d’Echternach et d’Esch qui quittèrent leurs classes pour manifester. La loi martiale fut décrétée dans tout le pays le 1er septembre.
La réaction des nazis fut brutale : des centaines d’arrestations, 83 personnes jugées devant un tribunal d’exception et transférées à la Gestapo, plus de 200 jeunes envoyés en camp de rééducation et surtout 20 personnes arrêtés au hasard et exécutées à Hinzert entre le 2 et le 8 septembre 1942, dont Michel Worré et Nicolas Müller, des enseignants, des ouvriers, des cheminots, des facteurs.
Cet événement n’a évidemment pas changé le cours de l’histoire, ni hélas empêché la conscription de 11.160 jeunes Luxembourgeois, enrôlés dans la Wehrmacht, mais il a été médiatisé dans le monde entier (avec un article dans le New York Times notamment). Les alliés ont ainsi pu mesurer la volonté farouche d’indépendance des Luxembourgeois et cela a manifestement pesé dans la période d’après-guerre.
Cet événement est commémoré chaque année au Grand-Duché. Dès 1949, une souscription pour un monument national de la grève a conduit à l’inauguration de ce phare de 23 mètres de haut le 30 septembre 1956 à Wiltz (photo de couverture).
En cette année de 80e anniversaire, la cérémonie commémorative centrale va très certainement revêtir une importance toute particulière.
Jacques Leurs (1910-1968), premier citoyen noir du Luxembourg, syndicaliste et politicien au Grand-Duché, fut également persécuté par les nazis, menacé d’émasculation en tant qu’ « homme de 6e classe. »
Une pensée pour tous ceux qui ont eu le courage de se lever et qui, pour certains, y ont laissé leur vie.